On a beau dire que le sport est un facteur d’égalité entre les femmes et les hommes, voire le principal moteur, il n’en demeure pas moins que la parité aussi bien dans les instances dirigeantes, que dans les rédactions de sport ou dans les médias est loin d’être atteinte. Malgré des progrès certains, les idées reçues ont encore la dent dure
Par Elsa Cadier 🏄
48 % des femmes pratiquent un sport régulièrement, mais la parité n’existe pas
D’après un sondage réalisé par Odoxa pour Keneo et RTL qui porte sur les femmes et leur pratique du sport, en 2022, 48% des femmes pratiquaient une activité sportive au moins une fois par mois, contre 50 % des hommes. On n’est pas loin de l’égalité. Pourtant dans les faits, beaucoup de disciplines ne sont pas paritaires. La pratique des femmes est plus marquée dans des disciplines comme la gymnastique, le fitness ou la danse, alors que la course à pied, le cyclisme, les sports de raquettes et les sports collectifs restent plus largement pratiqués par les hommes.
Par ailleurs, les femmes rencontrent plus de difficultés pour accéder à la pratique sportive. 49% y ont déjà renoncé pour des raisons financières (contre 34% des hommes), 46% pour des contraintes familiales (vs 38%) et 40% pour des contraintes domestiques (vs. 33%). Enfin, pour 83% des Français, les sportives de haut niveau devraient bénéficier de mesures adaptées pour pouvoir concilier maternité et carrière professionnelle. Là aussi, on est en retard.
Récemment, la navigatrice Clarisse Crémer a été lâchée par son sponsor Banque Populaire, pour le prochain Vendée Globe en 2024. L’équipe explique cette décision par le retard pris par Clarisse Crémer pour engranger les points et les miles nécessaires à la qualification. Le communiqué précise : “N’ayant pu participer à ces courses pour des raisons heureuses de maternité, Clarisse est aujourd’hui dans une situation qui ne lui permet pas d’espérer obtenir le nombre de points nécessaires pour se qualifier pour le Vendée Globe 2024″.
- Source Odoxa, étude réalisée selon la méthode des quotas sur internet les mardi 15 et mercredi 16 février 2022 auprès d’un échantillon de 1.005 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus, parmi lesquelles 572 femmes.
Les femmes peu présentes à des postes d’encadrement technique ou à responsabilité
Jusqu’aux années 2010, l’encadrement et les postes clés des fédérations et les positions de responsabilité politique dans les gouvernances restent l’apanage des hommes. Il faut attendre 2014 pour qu’une femme devienne entraîneure d’une équipe de football professionnel. Corinne Diacre a depuis pris la tête de la sélection féminine nationale de football. En 2019, Brigitte Henriquez, ancienne footballeuse, est devenue présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en vue des Jeux Olympiques 2024 de Paris. Isabelle Lamour a été nommée à la présidence de la fédération française d’escrime en 2013. Aujourd’hui, sur les 36 fédérations olympiques, seules trois sont actuellement dirigées par des femmes (Isabelle Jouin au hockey, Nathalie Péchalat aux sports de glace et Anne-Chantal Pigelet à la Fédération française de ski). En majorité, les femmes demeurent massivement sous-représentées aux postes importants, notamment dans les fonctions techniques (10% de femmes sont entraîneures nationales).
Une progression boostée par la législation
Concernant les fonctions de gouvernance, on note une progression significative vers la parité, notamment pour les sièges en conseils d’administration (24,7 % de femmes entre 2009-2012, contre 34,5 % aujourd’hui). En 2022, le Parlement a adopté une loi “visant à démocratiser le sport en France”. L’une des mesures vise à instaurer une parité stricte dans les instances dirigeantes sportives d’ici 2024, aussi bien à l’échelon national et régional que dans les bureaux des comités nationaux olympiques et paralympiques. 89 fédérations sportives ont également adopté un plan de féminisation pour augmenter le nombre de leurs licenciées.
La représentation du sport féminin dans les médias encore trop faible
Là aussi, le sport féminin n’est pas représenté à sa juste valeur, mais des efforts sont faits. Le football, le rugby, le cyclisme sont diffusés depuis peu sur les chaînes de télévision en clair (TF1 avec la coupe du monde de rugby féminin, M6 avec le football féminin, France Télévisions avec le cyclisme ou le handball). Mais beaucoup d’autres sports sont encore sous-représentés, comme par exemple les sports mécaniques, milieu historiquement très masculin, à quelques exceptions près (Michèle Mouton).
Les médias tiennent d’ailleurs un rôle important pour inciter les femmes à pratiquer plus de sport. Chaque année, l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, lance le programme “Sport féminin toujours” (#sportfeminintoujours), dans le but de rendre le sport féminin plus visible. Dans une étude effectuée entre 2018 et 2021, l’Arcom a constaté que sur l’ensemble des médias télévision (Total TV), le volume horaire du « sport féminin » est particulièrement faible, comparé à celui du « sport masculin » (71,5 % contre 4,5 % pour le « sport féminin » sur la période 2018-2021). C’est seize fois plus pour le sport masculin, même si on note une amélioration depuis 2019, 2020 étant l’année du Covid. Les diffusions « mixtes » représentent de leur côté 24 % des retransmissions sportives diffusées sur la période 2018-2021.
- Retrouvez l’étude sur www.arcom.fr
En 2022, 1100 heures de sport ont été diffusées sur les chaînes de télévision française. Parmi les sports, deux-tiers sont mixtes. La mission de l’Arcom, tout comme celle de France Télévisions en tant que service public, est aussi de mettre en lumière le sport et d’inciter les téléspectateurs à pratiquer en amateur. Selon Carole Bienaimé Besse membre du collège de l’Arcom :
Les éditeurs publics et privés ont pour obligation de représenter la société française. C’est même inscrit dans leur cahier des charges et dans les conventions passées avec les éditeurs privés. Les téléspectateurs doivent s’y retrouver. C’est pour ça que les médias ont aussi la responsabilité de mettre en lumière les sports ce qui n’est pas forcément évident pour le public, dont le sport féminin. On s’aperçoit que quand on fait cet effort de mise en lumière, le spectateur est finalement au rendez-vous parce qu’il souhaite voir des performances sportives.
“Chez France Télévisions, notre rôle est de pousser la diversité dans la diffusion des sports et de favoriser la pratique du sport féminin“, explique Laurent-Erik Lelay, directeur du service des sports de France Télévisions “On s’attèle depuis longtemps à augmenter la diffusion des épreuves féminines. Pas toutes, mais on progresse. On a commencé par le rugby parce que c’est un peu le sport de France Télévisions avec la diffusion du Tournoi des six nations.“
Pour exemple, entre 2017 et 2022, le top 20 des meilleures audiences de compétitions féminines est constitué de 14 matchs de football, 3 matchs de handball et 3 matchs de rugby. Les audiences ont été comprises entre deux et dix millions de téléspectateurs.
Les femmes journalistes de sport toujours peu présentes dans les rédactions
Dans journalisme classique, la parité est presque atteinte dans les rédactions avec 45 % de femmes et 55 % d’hommes. Dans le domaine du journalisme sportif, c’est une toute autre histoire, les rédactions étant traditionnellement exclusivement masculines. D’après une étude réalisée en 2022 par la chercheuse Sandy Montañola, il y aurait 15 % de femmes journalistes de sport contre 85 % d’hommes.
Il semble que ces messieurs excellent dans l’art de dissuader les femmes qui veulent se lancer dans le journalisme de sport. Le harcèlement, le sexisme et la discrimination sont encore très présents chez certains. Dans son documentaire réalisé avec Guillaume Priou , “Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste“, Marie Portolano fait état de la place des femmes dans le milieu du journalisme sportif. Les idées reçues ont encore la dent dure quant à la capacité des femmes de parler de sport et les écoles de journalisme ne vont pas non plus dans le sens de la parité. Les femmes qui évoluent dans ce milieu doivent souvent faire doublement leurs preuves et travailler deux fois plus dur que les hommes, même si elles sont parfois plus compétentes.
Medjaline Mhiri est co-fondatrice de l’association “Femmes journalistes de sport”. L’organisation s’est donné pour but de rendre les femmes plus présentes dans le sport et dans les rédactions de sport :
“J’adore mon métier, mais j’ai envie de l’exercer dans des conditions correctes. Les femmes journalistes de sport restent encore trop peu nombreuses dans les rédactions. En radio et en télévisions, le taux de femmes journalistes ou chroniqueuses était de 9 % en 2019. Il est monté à 18 % en 2020, mais en presse écrite, elles sont quasiment absentes, alors que les femmes constituent 52 % de la société. On devrait être à 50 % dans toutes les rédactions. C’est vrai que nous sommes sur-représentées en télévisions parce que c’est devenu dans les habitudes de mettre des femmes à l’antenne pour parler de sport. Mais attention, il vaut mieux être blanche, faire du 36 et avoir moins de 45 ans pour présenter à la télévision. C’est aussi plus facile quand on a une carrière d’ancienne sportive de haut niveau d’être prise. Ce qu’on ne demande pas à un journaliste homme.”

Le risque est aussi de faire du sport féminin une spécialité. Sauf exceptions, aujourd’hui 95 % des matchs commentés par des femmes journalistes sont des sports féminins. Même si les choses bougent doucement et le plafond de verre est sur le point de se fissurer (France Télévisions fait appel à l’ancienne joueuse de tennis Justine Hennin pour commenter des matchs de Roland Garros aussi bien masculins que féminins. Laurent Jalabert est consultant du Tour de France de cyclisme hommes et femmes), la parité est loin d’être atteinte. Pourtant, comme le dit Medjaline Mhiri : ” La mixité des voix sur les Jeux Olympiques, à l’écoute, c’est ce qui est le plus intéressant. Une voix d’homme et une voix de femme pour commenter du sport, c’est plus agréable à l’oreille“.
À bon entendeur.e.s donc…