Depuis 2019 le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) publie un rapport annuel contre le sexisme. Celui de 2023 n’est pas très encourageant. Les comportements sexistes sont même bien ancrés, en particulier chez les jeunes hommes. Les chiffres sont “alarmants”, à tel point que Emmanuel Macron a décrété que le 25 janvier serait officiellement la journée nationale de lutte contre le sexisme.
Par Elsa Cadier
Dans son 5ème rapport annuel, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes fait le constat du non recul du sexisme en France. Bien au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent, et la jeune génération est la plus touchée.
Le sexisme jugé coupable et condamné au bannissement par le tribunal d’Ensemble Contre le Sexisme
Mercredi 25 janvier, le collectif Ensemble Contre le Sexisme (ECS) et le Haut Conseil à l’Égalité ont tenu un procès particulier : celui du sexisme. En présence de la Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances Isabelle Rome, d’Elizabeth Moreno, ancienne ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, de Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, et de nombreuses organisations de défense du droit des femmes, tels que ONU Femmes, le Sexisme a été condamné et banni du “faux” tribunal aux vrais témoignages.
Le féminisme ne se résume pas à une revendication de justice, c’est aussi la promesse et l’espoir d’un monde différent qui pourrait être meilleur. Isabelle Rome, Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Mais alors, pourquoi les auteurs d’actes de sexisme ne sont-ils pas ou très peu jugés devant les véritables tribunaux, alors que la loi a renforcé la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (Loi n° 2018-703 du 3 août 2018) ? On aura beau avoir tous les procès fictifs du monde, le sexisme est bien ancré dans notre société. La preuve avec le rapport annuel 2023 du HCE qui montre que ce fléau touche toutes les couches de la société. Il est spécialement présent chez les jeunes hommes de la tranche 25-34 ans et les Français le sont quelquefois sans s’en rendre compte. La faute, selon Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, “aux millénaires de patriarcat“.
“C’est quand même contre-intuitif après cinq ans de Metoo, et une adhésion également affichée dans le baromètre aux valeurs d’égalité, à la nécessité de lutter contre les violences et le sexisme“, ajoute Sylvie Pierre-Brossolette. “Là, tout le monde est d’accord et puis après dans la pratique, ça disparait. Les hommes sont d’accord pour lutter, mais le sexisme, c’est les autres“.
Définition : Le sexisme désigne une attitude de discrimination basée sur le sexe, qui nie le droit à la liberté et l’égalité des êtres humains.
Chronique du sexisme ordinaire
” Vous êtes si sensibles, vous, les femmes… Vous prenez tout à coeur “, ” Comment tu vas ma petite/ma belle/ma jolie ? “, ” Il est 17:00, elle doit déjà être partie chercher ses mômes “, ” Bah alors, t’as tes règles ? », ” T’as vu comment tu t’habilles ? Faut pas t’étonner de te faire emmerder “, ” Eh mademoiselle, t’es charmante ! “, ” J’ai faim. Tu fais quoi pour le dîner ? “, “La danse, c’est pour les filles “, ” Wouah, cette jupe te fais un beau boule ! “, ” Tu me donnes ton numéro ? Tu veux pas ? Pour qui tu te prends ? T’es qu’une salope ! “, … Toutes ces phrases entendues au quotidien au travail, dans la rue ou dans la vie privée, sur les réseaux sociaux ou à l’école, participent au sexisme dit ordinaire et touche toutes les sphères de la société. Alors que les esprits semblent aujourd’hui acquis à la lutte contre le sexisme et malgré les efforts et les avancées, en France, les hommes (et quelquefois les femmes) pratiquent ce sexisme beaucoup sans s’en rendre compte, souvent sciemment et dans leur grande majorité, ce sont les femmes qui en subissent les effets.
Le sexisme subi en majorité par les femmes ne choque pas les hommes
D’après le rapport annuel du HCE sur l’état des lieux du sexisme en France, 93 % des Français constatent des inégalités de traitement entre les femmes et les hommes. La situation ne choque pas les hommes pour autant, notamment les jeunes adultes chez qui on observe un ancrage bien plus important des clichés “masculinistes”. Un quart des jeunes hommes 25-34 ans considère qu’il faut de la violence pour se faire respecter, alors que 37 % des femmes disent avoir subi un rapport sexuel non consenti. 59 % des hommes jugent acceptable d’aborder une femme dans la rue pour lui demander d’aller boire un verre, une moitié seulement considère que l’image des femmes véhiculée dans les contenus pornographiques est problématique. Tous âges confondus, 40 % trouvent normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants et 16 % pensent encore qu’une femme agressée sexuellement en est un peu responsable.
Des chiffres en veux-tu en voilà
- 93 % des Français estiment que les femmes et les hommes ne connaissent pas le même traitement dans au moins une des sphères de la société (travail, espace public, école, famille…).
- 80% des Françaises ont déjà été moins bien traitées en raison de leur sexe.
- 33 % des femmes interrogées ont déjà eu un rapport sexuel suite à l’insistance de leur partenaire, alors qu’elles n’en avaient pas envie.
- 12 % ont déjà eu un rapport sexuel non protégé devant l’insistance de leur partenaire (18 % pour les 25-34 ans).
- 7 % ont déjà eu un rapport sexuel non consenti sous emprise d’alcool ou de drogue (12 % pour les 18-24 ans).
- 4 % ont déjà eu un rapport sexuel pendant lequel leur partenaire a retiré son préservatif sans demander leur accord (8 % 18-24 ans).
- Par ailleurs, 7 % ont déjà subi des étreintes, baisers par un collègue ou un homme qu’elles ne connaissaient pas.
- Entre 2020 et 2021, le nombre de victimes d’infractions sexuelles commises en dehors de la famille enregistrées a progressé de 24 %.
- 9 femmes interrogées sur 10 affirment anticiper les actes et les propos sexistes des hommes et adoptent des conduites d’évitement pour ne pas les subir.
- 55 % des femmes renoncent à sortir et faire des activités seules.
- 52 % renoncent à s’habiller comme elles le souhaitent.
- 41 % des femmes veillent à ne pas parler trop fort ou hausser le ton.
- 40 % censurent leur propos par crainte de la réaction des hommes.
- Près d’une femme sur 5 (18 %) a des difficultés à prendre la parole au sein d’un groupe.
- 8 femmes sur 10 ont peur de rentrer seules chez elles le soir.
- 35 % des actives n’ont pas osé demander une promotion ou une augmentation. Cette proportion atteint 44 %, soit presqu’une femme sur 2 pour les CSP moins.
- 15 % des femmes ont déjà redouté voire renoncé à s’orienter dans les filières / métiers scientifiques ou toute autre filière / métier majoritairement composé d’hommes, surtout par crainte de ne pas y trouver leur place ou de s’y sentir mal à l’aise, mais aussi par peur du harcèlement sexuel pour 18 % d’entre elles. Un taux qui s’élève à 22 % pour les 25-34 ans.
- Seulement 49 % des femmes et 37 % des hommes estiment problématique qu’une femme cuisine tous les jours pour toute la famille.
- Un tiers de la population (27 % des femmes et 40 % des hommes) déclare qu’il est normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants (+ 6 points par rapport à 2022).
- La présence d’une mère lors des rendez-vous relatifs aux enfants (médicaux, scolaires, parascolaires…) est plus importante que celle d’un père pour 21 %.
- 9 % des hommes considèrent encore qu’il est normal qu’un homme ne s’occupe pas des tâches ménagères s’il gagne plus que sa conjointe, chiffre qui monte à 15 % chez les hommes de 25-34 ans et à 12 % chez les hommes CSP+.
- 9 % des femmes et 13 % des hommes considèrent que les hommes sont plus forts en mathématiques, respectivement 8 % et 12 % considèrent qu’ils sont plus performants dans les carrières scientifiques.
La mission du Haut Conseil à l’Égalité
Depuis la loi relative à l’égalité et la citoyenneté du 27 janvier 2017, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a pour mission d’élaborer et de remettre à la Première ministre et à la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité, et de l’Égalité des chances, un rapport sur l’état des lieux du sexisme en France. L’organisation consultative indépendante est également chargée d’orienter la politique du gouvernement en matière d’égalité.
Le “Baromètre Sexisme” a été réalisé par l’institut Viavoice. 2 500 hommes et femmes issus d’un échantillon représentatif de la population ont été interrogés sur leur perception du phénomène et sur les situations vécues par les femmes.
Les moyens de lutter contre le sexisme
La lutte contre le sexisme passe bien évidemment par l’éducation des garçons et des filles à l’école, mais aussi par la sphère privée. Toujours d’après le rapport, “les dispositifs publics pour endiguer le sexisme sous toutes ses formes et pour protéger les femmes sont globalement perçus comme inopérants“, la loi n’étant pas pleinement appliquée. En dépit d’une mobilisation de plus en plus importante sur ces sujets, le Baromètre Sexisme 2023 met encore en lumière le sentiment d’un manque d’information sur les sanctions et les lois existantes et un manque de confiance très net envers les acteurs de la lutte contre le sexisme. Face à ce constat jugé “préoccupant“, le Haut Commissariat à l’Égalité propose un ” plan d’urgence massif“ et dix pistes d’amélioration pour lutter contre le sexisme.
1 : Augmenter les moyens financiers et humains de la justice pour former plus et en plus grand nombre les magistrat·es au sein des juridictions chargées de traiter les violences intrafamiliales, à l’instar de l’investissement espagnol.
2 : Instaurer une obligation de résultats pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective dans un délai de trois ans, et prévoir une sanction financière en cas de non-respect de cette obligation dans ce délai.
3 : Réguler les contenus numériques pour lutter contre les stéréotypes, les représentations dégradantes, et les traitements inégaux ou violents des femmes, en particulier les contenus pornographiques en ligne.
4 : Rendre obligatoires les formations contre le sexisme par les employeurs.
5 : Généraliser l’égaconditionnalité (qui conditionne l’argent public à une contrepartie en terme d’égalité) et la budgétisation sensible au genre.
6 : Créer une Haute Autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique.
7 : Conditionner les aides publiques à la presse écrite à des engagements en matière d’égalité.
8 : Rendre obligatoire un système d’évaluation et une publication annuelle sur la part de représentation des femmes dans les manuels scolaires, informant voire conditionnant leur mise sur le marché, sur le modèle belge.
9 : Interdire la publicité pour les jouets genrés sur le modèle espagnol.
10 : Institutionnaliser la journée nationale de lutte contre le sexisme le 25 janvier.
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Éduquer les hommes
La loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes visant à combattre les inégalités entre les femmes et les hommes, a introduit dans son article 50 la création d’un stage de responsabilisation destiné aux auteurs de violences conjugales pour prévenir la récidive. L’article n’est pourtant pas toujours appliqué faute de moyens.
Bolewa Sabourin est chorégraphe et militant de la lutte contre les violences faites aux femmes. Au sein de l’association LOBA (, ), il a créé des ateliers de masculinité, de concertation qui s’adressent uniquement aux hommes et dans lesquels ils se questionnent. Selon Bolewa Sabourin, les hommes doivent également prendre la parole et se remettre en question.
“Nous avons créé ce collectif pour se questionner sur toutes ces violences faites principalement par notre genre“, explique Bolewa Sabourin. ” Il faut se regarder le nombril et arrêter de se construire sur un modèle viriliste qui est celui de Superman. Nous devons nous insérer dans la société, parce l’homme viril aujourd’hui se croit au-dessus de la société, alors que nous faisons du mal à nos proches, nous nous faisons du mal, nous faisons du mal à la planète. Je pense que si nous les hommes, nous ne prenons pas la parole maintenant, alors nos enfants, nos petits enfants, dans 200 ans, continueront encore à travailler sur ce sujet “.
Que disent les lois
La loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes vise à combattre les inégalités entre les femmes et les hommes. www.legifrance.gouv.fr
L’article L-1142-2-1 du Code du travail nouvel a été inséré à la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a renforcé ces dispositions. www.legifrance.gouv.fr
La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexiste, vise à améliorer la répression des violences sexistes et sexuelles : allongement à 30 ans du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur des enfants, création d’une contravention d’outrage sexiste pour punir le harcèlement de rue, … En novembre 2022, l’Assemblée nationale a voté le durcissement de l’amende, à 3 750 euros l’outrage sexiste «aggravé». L’article fait de l’outrage sexiste, un délit. www.legifrance.gouv.fr