On profite du Festival de Cannes 2023 pour faire un tour d’horizon de la place des femmes dans le cinéma français. Le cinéma reste encore patriarcal, même si les femmes se prennent maintenant en charge et osent dénoncer les inégalités. N’oublions pas que le mouvement #Metoo est parti de ce milieu
Le cinéma, bien que art récent, n’échappe pas aux inégalités et aux discriminations, même si on note un léger progrès : sous-représentation des réalisatrices, budgets moins élevés, cachets des actrices inférieurs à celui des hommes, genres cinématographiques restreints, palette de rôles limitée, longévité moindre à l’écran…
🎥 Une femme à l’origine du septième art
Tout d’abord, rendons à Simone ce qui est à Simone. Non ce ne sont pas les frères Lumière qui ont inventé le cinéma. C’est bien Alice Guy qui montre la voie du cinéma la première. En 1896, elle réalise La Fée aux choux et signe la naissance de la fiction cinématographique en images réelles (et non en dessin animé), à l’instar de Louis Lumière avec L’Arroseur arrosé et Georges Méliès avec La Partie de cartes.

Qui était Alice Guy (1873-1968) ?
Née en 1873 à Saint-Mandé, à 20 ans, Alice Guy est sténodactylo dans la société parisienne, Comptoir général de la photographie. Elle devient par la suite la secrétaire de Léon Gaumont. Le 22 mars 1895, elle est aux côtés de Léon Gaumont pour assister à la première projection d’images animées au monde, organisée par les frères Lumière à Paris avec L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, réalisé par Louis Lumière. À cette époque, les films servent à vendre des caméras. « Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu… Je pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu son consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. Je l’obtins cependant, à la condition expresse que cela n’empiéterait pas sur mes fonctions de secrétaire », explique-t-elle dans son Autobiographie d’une pionnière du cinéma. Le texte date de 1953, mais ne sera édité qu’en 1976 (éditions Denoël-Gonthier), huit ans après sa mort. Sa première réalisation est : La Fée aux choux en mars 1896. Ce sera la première fiction cinématographique en images réelles. Entre 1897 et 1907, Alice Guy tourne plus de 200 films. Elle est scénariste, réalisatrice et productrice et invente des effets spéciaux tels que le ralenti, l’accéléré, les surimpressions et les fondus. En 1905, elle prend la direction du grand studio Gaumont à Paris, le plus important du monde à l’époque. En 1906, elle met en scène La vie et la mort du Christ, film d’une durée de 34 minutes, avec 300 figurants et 25 décors. En 1907, elle part aux États-Unis avec son mari et réalise des films policiers, des westerns ou des films d’action, puis lance sa société de production Solax en 1910 avec son propre studio à Fort Lee dans le New Jersey, qui deviendra l’un des plus importants aux États-Unis. Elle devient alors la femme la mieux payée des États-Unis : 25 000 dollars de salaire mensuel. Mais la chance tourne : divorce, faillite de Solax due à la mauvaise gestion de son mari parti sur la côte ouest avec une actrice, … En 1922 Alice Guy revient en France ruinée. |
C’est également à une femme, Germaine Dulac, à qui on doit le premier film surréaliste en 1928, La coquille et le clergyman. Malgré tout, ces femmes restent encore invisibles dans l’histoire du septième art et le mérite revient la plupart du temps aux hommes.
🍿 Les femmes têtes d’affiche ?
Encore aujourd’hui, les femmes restent sous-représentées dans ce milieu. Dans la majorité des films, les personnages principaux sont encore en majorité des hommes. Les femmes de plus de 50 ans, elles, disparaissent littéralement des écrans et les personnages perçus comme non blancs et LGBTQIA+ ont du mal à exister. D’après une étude sortis entre 1985 et 2019 portant sur 3770 films, seulement 34 % des rôles sont tenus par des actrices.
Dans les années 1950-1960, la femme est représentée en demoiselle en détresse, en héroïne romantique, en mère faible victime d’injustice qui se sacrifie et sauvée par un prince charmant, en femme fatale, séductrice, forte, maitresse de son propre destin, prête à se sacrifier corps et âme pour arriver à ses fins ou en femme-objet. Alors que l’homme lui, est viril et s’érige en sauveur.

Les rôles féminins reflètent le produit des fantasmes des hommes, qui pour le coup sont majoritaires dans l’industrie du cinéma. Les femmes sont loin d’être des têtes d’affiche. Elles se contentent seulement d’être des faire-valoir.
À partir des années 1970, dans le cinéma français, la femme n’occupe toujours pas les têtes d’affiches ou très rarement, mais elle incarne peu à peu des personnages plus complexes. Dans Docteur François Gailland (1976) par exemple, Annie Girardot a le premier rôle et apparaît seule sur l’affiche.
Dans les années 1980 et 1990, les rôles des femmes montent les échelons professionnels. Le genre féminin évolue dans la hiérarchie du monde du travail par ses seules compétences techniques. Elles deviennent lieutenants (Ellen Ripley dans Alien, 1979), soudeuses (Alex dans Flashdance, 1983 ou Charlie dans Top Gun, 1986) ou femme d’affaire carriériste (Baby boom, 1987). Elle est également la mauvaise mère qui abandonne ses enfants (Kramer contre Kramer, 1979). En France, la femme joue encore les seconds rôles, mais elle met en lumière les défauts et les faiblesses des hommes.

Les années 1990 commencent à refléter un peu mieux la réalité. Les rôles des femmes sont des supérieures hiérarchiques, des femmes autoritaires, des commissaires, des juges, … Bref, des femmes qui ont dû s’imposer face aux hommes qui acceptent mal d’être dirigés par la gente féminine.
En France, le premier rôle féminin de la décennie 2000-2010 revient sans doute à Audrey Tautou qui joue Amélie Poulain dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001), réalisé par Jean-Pierre Jeunet. Le film est un des plus gros succès commerciaux mondiaux pour un film français et demeure le seul film dans le Top 40 des entrées en France à proposer une tête d’affiche féminine.
Mais c’est sans doute au sein de l’univers Marvel que l’évolution du rôle des femmes est la plus remarquable. En 2021, Black Widow, réalisé par Cate Shortland a pour héroïne principale l’agent Natasha Romanoff.
🎬 Les réalisatrices s’imposent tout doucement
Si aujourd’hui les actrices parviennent quelquefois (et non sans batailler) à obtenir une relative égalité avec leurs partenaires masculins, cela reste inégalitaire dans le domaine de la réalisation. Il faut attendre le milieu des années 1970 pour que les femmes accèdent aux commandes de la caméra et de la réalisation. Seulement deux réalisatrices ont eu la Palme d’or depuis le début du festival de Cannes : Jane Campion , en 1993, pour La leçon de piano et Julia Ducourneau pour Titane en 2021. Jusqu’à 2023, puisque Justine Triet est la troisième à remporter le légendaire trophée.
Le côté positif est que cette année à Cannes, la proportion des réalisatrices dans les différentes sélections dépasse la moyenne européenne. Elles sont en effet 33% en compétition officielle (contre 17% et 24% les deux années passées). Parmi les 19 films sélectionnés, 7 réalisatrices sont à l’honneur (c’est toujours mieux que zéro aux Césars, …) : Catherine Breillat avec L’été dernier, Justine Triet avec Anatomie d’une chute, Catherine Corsini avec Le retour, Jessica Hausner avec Club zéro, Alice Rohrwacher avec La Chimère, Kaouther Ben Hania avec Les Filles d’Olfa, Ramata-Toulaye Sy avec Banel E Adama.
Selon le Lab Femmes de cinéma, l’association qui s’intéresse à la place des femmes dans le cinéma, en Europe, seul un film sur cinq est réalisé par une femme (étude réalisée en 2022). Entre 2012 et 2021, le nombre de réalisatrices est passé de 19% à 23,6%. L’évolution est notable, mais elle demeure très lente.
Les productions ont encore du mal à faire confiance à des femmes. En France, les films réalisés par des femmes ont des budgets moindres (2,57 millions d’euros en moyenne pour les femmes en 2021 contre 4,96 millions pour les hommes, source CNC) et la distribution en salles est plus faible.
🚺🚹 Parité et égalité, le cinéma traîne la savate
Côté postes techniques, les femmes restent aussi peu nombreuses, même si, dans les années 80 elles étaient près de 50 % d’assistantes caméra. Concernant les postes de directrice photo, elles sont passées de 8% dans les années 80 à 10% aujourd’hui. Ce constat a été effectué par le collectif Femmes à la caméra.
Le 8 mars 2023, l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes du CNC (Centre national du cinéma) a publié les résultats de son enquête sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle. Si ces chiffres laissent présager une lente progression pour les femmes réalisatrices (41 % de premiers films réalisés par des femmes), une large différence subsiste encore. Les hommes demeurent aussi prioritaire quant à l’accès aux gros budgets et donc à la réalisation de films plus populaires. Les inégalités persistent donc dans presque tous les secteurs, à l’exception du montage et du métier de scripte, sans doute considérés comme étant moins physiques. En matière de rémunération, les femmes sont très majoritairement moins bien payées que les hommes :
- Part de films strictement réalisés par des femmes : seulement 30 % pour l’année 2022
- 34 % des fictions sont réalisées ou co-réalisées par des femmes (29 % pour le documentaire)
- Les femmes sont à l’initiative de 41 % des premiers films
- Le devis moyen d’un film entrepris par une femme est de 3,7 millions d’euros (-21 % par rapport aux hommes). 23 % des films réalisés par des femmes sont distribués en première exclusivité dans les salles de cinéma, soit 58 films.
- Les femmes représentent 43 % de l’effectif total
- 90,5 % d’entre elles sont dans les décors (mixage 5,3 %, machinistes 7,5 %, électriciennes de prise de vues 11,5 %)
- En terme de rémunération, les femmes sont payées -34,9 % que les hommes dans l’administration, -25,9 % dans les métiers de l’image, -15,5 % pour les actrices.
- Les cascades et la musique paient mieux.
✅ Comment agir ?
L’institution française du cinéma a lancer des actions et mis en place : un livre blanc du collectif 50/50 pour la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes et sexuelles dans l’audiovisuel et le cinéma, un kit du CNC à destination des employeurs, victimes et témoins, une formation à destination des producteurs assortie d’une carotte financière, des référents harcèlement chez les techniciens, une prime de 15 % de subventions allouées aux équipes paritaires.
En 2022, 50 % de femmes sont représentées dans les commissions du CNC en 2022, 1 428 producteurs ont suivi une formation de prévention et d’action contre les violences sexistes et sexuelles en 2022, et 1 073 du côté des exploitants. Enfin, 34 % des films d’initiative française étaient éligibles au bonus parité mis en place par le CNC.
En conclusion, l’écosystème du cinéma dirigé par des hommes persiste, même si les mentalités semblent évoluer. La place de la femme dans le cinéma colle désormais à l’image de sa place dans la société. Elle se prend en charge, quitte à faire des choix de carrière assumés. Mais, et malgré des propositions de solutions, les inégalités persistent. Alors, faudra-t-il en arriver un jour par imposer des quotas et des incitations financières ? Peut-être.