Par Elsa Cadier
L’été, c’est le temps des vacances. Pour ceux qui se sont aventurés sur la côte Atlantique française, ils ont pu constater que la pratique du surf loisir reste très populaire. Les femmes sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à s’y mettre. Mais ça n’a pas toujours été le cas, loin de là. Les surfeuses ont dû s’imposer et jouer des coudes au line up et en compétition, au risque de se faire insulter
Dans l’histoire du surf, les femmes polynésiennes surfaient tout autant que les hommes
Le surf tire son origine de la Polynésie et plus particulièrement d’Hawaï depuis le XVe siècle. La pratique du surf sur de grandes planches en bois était non seulement un divertissement, mais elle revêtait également une signification sociale et spirituelle, gouvernée par des codes bien précis. Tout le monde surfait, de tous âges, femmes, hommes et enfants. En 1778, l’explorateur James Cook découvre Hawaï qu’il baptise les Îles Sandwich. Il est l’un des premiers à observer la pratique du surf par les Polynésiens. À partir de 1820, les missionnaires anglais, français, puis américains tentent d’interdire la pratique du surf, vue comme une dépravation puisque les Hawaiiens surfent entièrement nus.

Le surf sauvé par une femme
À cause du lobbying intensif des missionnaires évangéliques, le surf est donc sur le point de disparaître, mais une femme, la princesse héritière Ka’iulani va le sauver en continuant à pratiquer le surf de manière intensive et experte, malgré les interdictions. Ka’iulani naît le 16 octobre 1875, union de sa mère Likelike, sœur du roi Kalakaua, et de son père Archibald Scott Cleghorn, éminent homme d’affaires écossais. Au début du XXe siècle, Duke Kahanamoku fait connaître le surf dans le monde. Plus tard, c’est encore une femme, l’Australienne Isabel Letham qui surfe en Australie pour la première fois. Par la suite en Califormie, Joyce Hoffman demande le statut d’athlète pour ses performances sur les vagues.
Les surfeuses quasiment exclues de l’eau
Alors que le surf se développe un peu partout dans le monde avec l’arrivée des Européens dans le Pacifique, il est très rare de voir une femme dans l’eau. Question de mœurs traditionalistes sans doute : la femme doit rester à la maison, à s’occuper des enfants (LOL). Dans les années 1970, le surf explose, mais les femmes sont très peu à pratiquer. Elles sont même très mal vues. Les hommes ont leur premier championnat du monde en 1976. L’année suivante, c’est au tour des femmes. Ainsi, Margo Oberg, sera la première femme championne du monde en 1977. Elle sera rejointe par Lynne Boyer (1978, 1979), Linda Benson, Kim Mearig (1983/84) et Debbie Beacham (1982). Faute de combinaisons de surf adaptées, les femmes surfent avec du matériel conçu pour les hommes. Il faudra attendre 1990 pour voir naître la marque Roxy, le pendant féminin de Quiksilver. Les autres marques comme Rip Curl ou Billabong suivront dans la foulée.
Les années 1980 ou la naissance des guerrières de la vague
Le circuit mondial de surf pour les hommes se développe avec la création de l’ASP (l’Association des Surfeurs Professionnels). Les surfeuses, elles, sont oubliées ou relayées aux bikinis contests (compétitions de bikinis). Les surfeurs professionnels ne sont pas tendre avec elles. Certains affirment qu’elles ne pourront jamais être aussi bonnes que les hommes. Frieda Zamba, Jodie Cooper, Wendie Botha ou encore Pam Burridge, déterminées à faire vivre le surf féminin en compétition, se battent alors contre les idées reçues, pour être reconnues comme des athlètes à part entière, pour concourir dans de meilleures conditions de vagues et pour obtenir plus de prize money (primes gagnées lors des compétitions). Elles seront les pionnières et les conquérantes des années 1980.
“Tu surfes pas mal pour une fille”. C’est le genre de réflexion qu’entendait Jodie Cooper, l’une des pionnières du surf de compétition. “Je détestais cette phrase. Je voulais être reconnue comme faisant partie des meilleurs surfeurs du monde, mais pas comme une femme qui surfe.”
Les femmes sont aussi les oubliées des médias. “Quand tu regardais les magazines Surfer, Surfing ou Tracks ou n’importe quel autre, il était rare de trouver une photo de surfeuse à l’intérieur ! “, témoigne la sud-africaine Wendy Botha, quatre fois championne du monde, dans le documentaire “Girls can’t surf”.
Le film, paru en 2021, réalisé par Christopher Nelius et produit par Madman Films, retrace le combat de trente ans de ces femmes qui ont ouvert la voie aux surfeuses d’aujourd’hui et montre les prémices du women empowerment.
https://www.madmanfilms.com.au/girls-cant-surf/
Dans les années 1990, les surfeuses s’imposent non sans mal, en sortant les rames
Dans les années 1990, le surf féminin a encore du mal à s’imposer. Trouver le financement pour suivre le circuit mondial reste un véritable saceerdoce. Les sponsors sont encore peu nombreux à miser sur les femmes. Lisa Andersen, Layne Beachley (sept fois championne du monde), Pauline Menczer, Rochelle Ballard, Keala Kennelly ou encore les Françaises Anne-Gaëlle Hoareau et Emmanuelle Joly, fortes de l’expérience de leurs aînées des années 1980, reprennent le flambeau. Des changements s’opèrent au sein de l’ASP, mais au forceps et le surf féminin se professionnalise peu à peu. Grâce au sponsoring des marques comme Roxy, les femmes obtiennent leurs propres compétitions et les médias s’intéressent un peu plus à elles.
Les surfeuses d’aujourd’hui traitées à la même enseigne
Ces surfeuses des années 1980-1990 ouvrent la voie à celles d’aujourd’hui. Le niveau de surf s’élève et la World Surf League (WSL-anciennement l’AFP), instaure la parité en 2019. Les compétitions se déroulent dans les mêmes conditions de vagues, les prize moneys pour les femmes augmentent (elles peuvent parfois gagner jusqu’à 80 000 $ sur certains événements), les résultats des femmes et des hommes sont affichés ensemble, elles sont plus médiatisées et les sponsors suivent. Cerise sur le gâteau, les surfeuses pros participent désormais à la compétition mythique du Tahiti Pro sur la vague de Teahupoo, celle qui recevra les surfeurs/ses pour les Jeux olympiques de Paris 2024.
https://www.worldsurfleague.com/events/2022/ct/11/outerknown-tahiti-pro/main
Même si le surf féminin n’est pas comparable au surf masculin, les surfeuses ont su, au fil des années, imposer leur style, peut-être moins puissant que les hommes, mais souvent plus technique et plus fin. Elles ont également prouvé qu’elles pouvaient surfer dans de grosses vagues. Stéphanie Gilmoore, Carissa Moore, Johanne Defay, Bethany Hamilton,… relèvent aujourd’hui le défit d’emmener le surf féminin à un très haut niveau et ça n’est pas terminé.
https://www.instagram.com/stories/highlights/17949484505176367/
D’autres femmes comme Justine Dupont, ont choisi de s’attaquer aux grosses vagues. Elle a surfé une vague de trente mètres de haut à Nazaré au Portugal et a remporté la seconde place du “Biggest Wave Awards”, la compétition de grosses vagues de la WSL. Et là, pas de catégorie femmes et hommes…
Plus de pratiquantes ces dernières années, mais moins de machos à l’eau ?
Mets-toi au bodyboard !
Mais what ???!!!
De plus en plus de femmes se sont mises à la pratique du surf. Il n’est pas rare de voir au line-up (derrière les vagues) plusieurs surfeuses de très bon niveau. Mais les hommes sont-ils devenus moins misogynes pour autant ? Pas sûr. Encore entendu l’été dernier : “mets-toi au bodyboard“, ou “dégage de là, meuf si tu sais pas surfer“. Le cliché des surfeuses californiennes minces, bronzées et les cheveux blonds décolorés persiste aussi. Elles existent peut-être, mais ça n’est pas forcément la réalité. “Il a fallu que je fasse mes preuves plus que les mecs et que je m’impose“, explique cette amatrice d’Hossegor dans les Landes. Enfin, et c’est une petite victoire, pour ceux qui pensent encore que les filles ne savent pas surfer, faites attention, les surfeuses ne vous ferons pas de cadeau. Et ne vous avisez pas de les taxer…
