Le 25 novembre marque la journée internationale des violences faites aux femmes. C’est l’occasion de mettre le doigt sur ce fléau qui touche les femmes partout dans le monde. Comme les années précédentes, cette année donne le coup d’envoi à 16 jours d’actions qui se termineront le 10 décembre, jour de la commémoration de la journée internationale des droits de l’homme.
Selon l’ONU Femmes, dans le monde, une femme sur trois est victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. Moins de 40 % d’entre elles cherchent de l’aide et seulement 10 % porte plainte ou cherchent un soutien auprès de la police. Aujourd’hui, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices. Elle demeure également l’une des moins signalées en raison de l’impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l’entourent. Même si on note des progrès dans certains pays, l’élimination des violences faites aux femmes et aux filles est loin d’être une réalité.
Qu’est-ce que la violence à l’égard des femmes et des filles
En 1993, l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) adopte la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Elle définit la violence à l’égard des femmes comme “tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée“.
Par formes de violences physiques, sexuelles et psychologiques on entend : la violence d’un partenaire intime (coups, violences psychologiques, viol conjugal, féminicide), la violence sexuelle et le harcèlement (viol, actes sexuels forcés, avances sexuelles non désirées, abus sexuels sur enfants, mariage forcé, harcèlement dans la rue, harcèlement criminel, cyber-harcèlement), le trafic d’êtres humains (esclavage, exploitation sexuelle), la mutilation génitale féminine, le mariage précoce,… Les violences économiques entrent également dans la définition.
D’où vient cette date du 25 novembre
Le 25 novembre 1960, trois femmes dominicaines, trois soeurs, suite à leurs actes militants contre la dictature en République dominicaine, sont arrêtées, torturées et assassinées sur l’ordre du chef de l’Etat. Le 19 octobre 1999, lors de la 54e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, les représentants de la République dominicaine et 74 États membres présentent un projet de résolution visant à faire du 25 novembre, la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Ce jour-là, les Gouvernements et autres organisations internationales et non gouvernementales sont invités à mener des opérations de sensibilisation de l’opinion sur ce phénomène mondial. La résolution 54-134 est adoptée le 17 décembre 1999.
La campagne de l’ONU “Tous unis pour 2022” pour sensibiliser et appeler à l’action
Depuis, à chaque 25 novembre, les organisations se servent de cette date pour sensibiliser la population et les Etats à cette cause. La campagne de cette année s’intitule “Tous Unis pour 2022”. Elle est menée par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, par ONU Femmes depuis 2008 et par bon nombre d’associations et d’organisations non-gouvernementales.
Toutes les onze minutes, une femme ou une fille est tuée par un partenaire intime ou un membre de sa famille. On le sait aussi, des facteurs de stress, tels que la pandémie de COVID-19 ou les turbulences de l’économie, conduisent inévitablement à encore plus de violences physiques et verbales.
António Guterres, Secrétaire général de l’ONU
Pour faire face à la montée des violences contre les femmes et les filles dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Secrétaire-général des Nations Unies a exhorté en avril 2020 les gouvernements à placer la prévention et la réponse aux violences faites aux femmes et aux filles au cœur de leur plan de réponse nationale au COVID-19. À travers une déclaration, 146 États membres et observateurs ont exprimé leur soutien ferme à cet appel. Mais le chemin est encore très long.

Les femmes et les filles sont par ailleurs confrontées à un phénomène endémique de violence en ligne : des discours haineux misogynes au harcèlement sexuel, en passant par les abus d’images et le « grooming » (manipulation psychologique en vue d’abus sexuel) auxquels se livrent les prédateurs. Ces discriminations, violences et atteintes ciblant la moitié de l’humanité coûtent très cher. Elles limitent la participation des femmes et des filles dans toutes les sphères de la vie, elles les privent de leurs droits et libertés fondamentales et elles entravent la reprise économique équitable et la croissance durable dont notre monde a pourtant tant besoin.
En France, les moyens mis en œuvre depuis le Grenelle des violences conjugales de 2019 sont-ils efficaces ?
Chaque année, plus de 230.000 plaintes pour violences conjugales et violences sexuelles sont enregistrées par les services de police. Le chiffre est en constante augmentation : les plaintes pour violences sexuelles (viols, tentatives de viols ou agressions sexuelles) sont, par exemple, passées de 41.600 en 2017, année du mouvement #MeToo qui a libéré la parole des femmes, à 75.800 en 2021. Cette prise de conscience sans précédent a été prise en compte par le Gouvernement, mais cela reste largement insuffisant. Pourtant, l’égalité entre les femmes et les hommes constitue la grande cause des deux quinquennats du président de la République (une stratégie internationale même) et les violences faites aux femmes sont devenues une priorité des politiques publiques. En 2019, à l’issue du Grenelle des violences conjugales, une dizaine de mesures majeures visant à mieux prévenir ces violences et à accompagner les victimes (l’extension des horaires du 39-19, 7j/7 et 24h/24, le déploiement des téléphones « grave danger » et des bracelets anti-rapprochement ou encore l’augmentation de 80 % de places d’hébergement dédiées aux femmes victimes de violences) ont été décidées. Certes, les moyens ont été renforcés, mais force est de constater que les chiffres, eux, restent encore alarmants. En 2021, on déplorait 122 féminicides. Au 22 novembre 2022, on en compte 121…
Où en est-on du Grenelle trois ans après
En septembre dernier, la Première ministre Elizabeth Borne a annoncé que “d’ici la fin de l’année, 10.000 places d’hébergement seront opérationnelles sur le territoire, soit près de 1.000 places de plus que l’objectif initialement attendu. 1.000 places supplémentaires seront ouvertes en 2023, pour mieux doter certains territoires, notamment en zones rurales et villes moyennes, en métropole comme en outre-mer. Ce sont 10 millions d’euros supplémentaires qui seront engagés et qui permettront d’atteindre 11.000 places d’hébergement“.
Concernant le volet judiciaire (trop souvent sclérosé par la lenteur du système judiciaire submergé par le nombre d’affaires et le classement sans suite de quelques plaintes), Elizabeth Borne a également annoncé la création d’une mission parlementaire “pour faire le bilan et améliorer le traitement de ces violences, pour une action judiciaire lisible, réactive, performante et qui concilie spécialisation des enquêteurs et des magistrats avec la proximité nécessaire pour les victimes. La présence policière dans la rue sera doublée, tout comme le nombre d’enquêteurs spécialisés. D’ici 2025, le nombre d’intervenants sociaux en gendarmerie et dans les commissariats passera de 400 à 600. L’outrage sexiste sera délictualisé dans les cas les plus graves et l’amende verra son montant triplé”.
Côté renforcement des effectifs de police, le projet de Loi de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi), présenté mardi 29 novembre à l’Assemblée nationale, prévoit d’amener 2.000 enquêteurs supplémentaires spécialisés dans les violences intra-familiales.
Les violences faites aux femmes en France depuis le covid
45% des femmes ont déclaré qu’elles-mêmes ou d’autres femmes qu’elles connaissent ont subi une forme de violence à l’égard des femmes et des filles.
7 femmes sur 10 estiment que la violence verbale ou physique de la part d’un partenaire est devenue plus courante.
6 femmes sur 10 constatent que le harcèlement sexuel dans les espaces publics s’est aggravé.
Interview de Gabrielle Hazan, référente nationale contre les violences intra-familiales
Les moyens ont augmenté c’est indéniable, mais les efforts doivent se poursuivent.
Gabrielle Hazan, référente nationale contre les violences intra-familiales
Toutes Les femmes Infos : “Quel est votre rôle exact ?“
Gabrielle Hazan : ” Très concrètement, je suis un point de contact national pour les référents locaux en charge des violences intra-familiales dans chaque commissariat. Les policiers sont en relation directe au quotidien avec les victimes. Ce qui fait d’eux des relais opérationnels et spécialisés très précieux permettant de tirer des enseignements concr ets du terrain. Avec ce réseau, je m’assure que les dispositifs et les outils mis en place ces dernières années par la police nationale pour améliorer les enquêtes et mieux prendre en charge les victimes, sont bien appliqués dans tous les services de police. Je m’assure surtout de leur efficacité. C’est comme une évaluation permanente qui est aussi source de nouvelles idées. J’essaie d’impulser des évolutions pour renforcer et affiner notre réponse face à ces problématiques de prise en charge d’une grande sensibilité pour notre institution, tant les enjeux sont importants au vu du nombre de victimes de violences allant jusqu’aux féminicides. J’ai aussi comme objectif d’être un contact privilégié et bien identifié pour tous les partenaires qui travaillent avec la police, comme la justice, les mairies ou encore les associations d’aide aux victimes. Nous avons besoin de mieux nous coordonner et j’espère pouvoir contribuer à améliorer cette coordination pour qu’on soit tous collectivement plus efficaces et qu’on protège mieux ces victimes. “
TLFI : “Depuis #Metoo et le Grenelle des violences conjugales, quelles sont les changements ? Les outils mis en place sont-ils efficaces ? “
G.H : “Depuis le mouvement “Metoo”, la police nationale a pris conscience, comme le reste de la population, du besoin de mieux écouter les victimes pour que la parole se libère. Le Grenelle a permis d’accroitre considérablement le nombre de postes d’intervenants sociaux déjà existants dans les commissariats pour accompagner les victimes dans leurs démarches autres que judiciaires. De nombreux outils ont été mis en place, comme la grille d’évaluation du danger ou le dépôt de plainte en dehors des commissariats de police (à l’hôpital, dans des structures pluridisciplinaires). Les dossiers de violences conjugales sont désormais priorisés par les enquêteurs et un suivi mensuel est effectué au niveau national, pour s’assurer de l’absence de constitution de stocks dans cette matière très sensible. Nous avons également développé les formations, dans les écoles de police mais aussi pour les policiers déjà formés (un livret des violences conjugales a notamment été élaboré pour eux). Néanmoins, nous savons que dans le domaine de la formation, des efforts sont encore à faire et nous sommes en train de travailler avec les associations d’aide aux victimes spécialisées, pour développer des formations, par ces spécialistes, dans les services de police. Nous devons aussi améliorer notre communication pour faire connaitre les outils existants et les dispositifs d’accompagnement des victimes. Là-dessus, nous avons tous, les citoyens, mais aussi et surtout les médias, un rôle à jouer. “
TLFI : ” Depuis le lancement de la plateforme “Arrêtons les violences” en novembre 2018, quels sont les résultats ? “
G.H : ” Le site web “arrêtons les violences”, aussi appelé la “plateforme numérique de signalement des atteintes aux personnes et d’accompagnement des victimes (PNAV)“, permet aux victimes et aux témoins de violences sexuelles et sexistes, intra-familiales, de discriminations et de haines en ligne, de faire un signalement gratuit et anonyme, 24H/24 et 7J/7, depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone sous la forme d’une discussion interactive instantanée (un tchat). Le policier qui répond est spécifiquement formé pour recueillir le témoignage, organiser le dépôt de plainte de la victime sur rendez-vous dans le commissariat de son choix (elle sera recontactée par un enquêteur pour fixer la date et l’heure du rendez-vous), donner les coordonnées des associations spécialisées et l’informer sur les dispositifs de protection. Depuis le lancement du portail en 2018, les opérateurs de police ont traité près de 40.000 tchats. Les deux tiers ont débouché sur l’accompagnement d’une victime vers un service d’enquête. Les autres signalements ont permis de renseigner des témoins de ces violences sur les démarches existantes. Ce dispositif présente aussi de bons retours qualitatifs. Il est très apprécié des jeunes victimes en particulier.”
TLFI : ” Au 22 novembre 2022, il y a eu 121 féminicides depuis le début de l’année. Les chiffres ne baissent pas. Comment peut-on l’expliquer alors que le Gouvernement a mis les moyens ? Sont-ils insuffisants ? “
G.H : ” Ce décompte annuel des féminicides nous rappelle malheureusement que, chaque année, les violences de genre sont durablement installées dans notre société. Les moyens ont augmenté c’est indéniable, mais les efforts doivent se poursuivent. L’étude des morts violentes au sein du couple que nous réalisons chaque année nous amène à ce constat répété : un tiers des femmes victimes avaient subi des violences antérieures et deux tiers d’entre elles les avaient signalées aux forces de l’ordre. Cela signifie que 20% des victimes de féminicides avaient déposé ces plaintes ou avaient fait appel en urgence à la police pour des violences antérieures. Pour ces faits-là, c’est incontestablement aux forces de l’ordre d’améliorer l’appréciation des situations de danger pour mieux réagir et éviter ces drames. Pour toutes les autres victimes, nous avons tous un rôle à jouer collectivement pour améliorer la détection de ces situations de danger. Les victimes étant souvent sous emprise de l’auteur, elles ne peuvent pas dénoncer seules ces violences. C’est aussi aux proches, aux témoins (voisins, passants), à l’entourage professionnel ou personnel de le faire et de signaler ces faits aux services de police avant le drame. On est bien capable d’appeler les pompiers quand on détecte un début d’incendie, il faut qu’on ait le même réflexe quand on entend ou voit une situation de violences en appelant le 17. Aux services d’enquête ensuite d’agir, une fois informés, pour diligenter une procédure et protéger la victime.”

Les associations demandent une “loi cadre”
Du côté des associations et des organismes, on demande urgemment une meilleure prise en charge des victimes et on déplore une absence de punitions des agresseurs. L’Union Nationale des Familles de Féminicides (UNFF) par exemple, réclame qu’un statut de victimes avec un accompagnement psychologique et financier soit instauré.
Les associations réclament également un budget public de deux milliards d’euros par an, mais aussi une “loi-cadre”, l’instauration de brigades et de juridictions spécialisées, l’allocation d’une aide financière pour la mise en sûreté des femmes victimes, ou encore 15.000 places d’hébergement supplémentaires.
Lutter contre toutes les violences envers les femmes, qu’elles soient sexistes, physiques ou psychologiques, doit passer notamment par le renforcement de l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Et pour changer les mentalités, éduquer les garçons reste primordial.
Les moyens d’urgence
-La plateforme arrêtons les violences : https://arretonslesviolences.gouv.fr/
– Le 3919. Les femmes victimes de violences ou les témoins peuvent contacter le 39 19 du lundi au samedi de 8h à 22h. Ce numéro est gratuit depuis un poste fixe. Il est invisible sur les factures.
– Le « 08 victimes » ( 08 842 846 37). Un numéro dédié à toutes les victimes de violences quel que soit le préjudice subi. Victimes ou témoins de harcèlement peuvent contacter le 08 Victimes, 7 jour/7, de 9h à 21 h. Ce numéro est non surtaxé.
-Liste et guide des numéros d’urgence dans différents pays : https://www.endvawnow.org/fr/need-help et
–SOS Viols : 0 800 05 95 95. Numéro gratuit et anonyme, disponible du lundi au vendredi de 10h à 19h.
À lire aussi : “Dépose ta Plainte”, le site web qui permet de porter plainte en ligne sans être obligé.e.s de se rendre dans un commissariat.
Et pour les hommes :
–SOS Violences Familiales : 01 44 73 01 27. Ce numéro s’adresse aux auteurs de violences conjugales, et non pas aux victimes.
2 réflexions sur “Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes : où en est-on”