Droit des femmes dans le monde : vers l’urgence d’une diplomatie féministe efficace

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Mercredi 23 novembre, deux jours avant la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, une conférence intitulée “Femmes et conflits : vers une diplomatie féministe” s’est tenue au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) à Paris. Organisée en partenariat avec le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) et ONU Femmes France, cette conférence, réunissant les défenseur.e.s des droits des femmes a eu pour objectif d’interpeller les pouvoirs publics et la diplomatie internationale sur la situation des filles et des femmes dans le monde et en zones de conflit.

Par Elsa Cadier

Lancé par la Suède en 2014, le terme de “diplomatie féministe” a été créé dans le but d’intégrer l’égalité femmes-hommes dans la politique étrangère, mais aussi pour venir en aide aux femmes dans le monde. Huit ans plus tard, la situation des femmes dans le monde et surtout dans les pays en conflit, reste alarmante.

Femmes et conflits : vers une diplomatie féministe

Photo : Katrin Baumann

Qu’est-ce que la diplomatie féministe ou politique étrangère féministe

Dans le monde, une femme sur trois est victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. Elles représentent 52 % de la population mondiale et sont encore sous-représentées à tous les niveaux. Pire, en temps de conflit, elles sont utilisées comme arme de guerre. Elles sont torturées, enlevées, violées et tuées. Pour tenter de les protéger, le concept de « diplomatie féministe » a été créé.

Floue pour certains, avant-gardiste pour d’autres, mais encore méconnue pour beaucoup, la diplomatie féministe, qu’aucun texte actuellement ne défini, a pour but de promouvoir l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, le respect des droits fondamentaux, le droit à la sécurité pour tous, l’idée d’intégrer les femmes dans la reprise économique et les actions de protection de l’environnement, et surtout, la participation aux accords de paix, ainsi que le partage de la gouvernance dans tous les domaines.

Cette approche active de la diplomatie a été inaugurée par la Suède en 2014, rejoint par le Canada en 2017, par la France en 2018, puis par le Mexique en 2020. Aujourd’hui, une dizaine de pays (dont trois adhésions en 2022 : la Moldavie, le Royaume Uni et l’Ukraine) ont adopté le concept, mais la Suède, pourtant pionnière, y a renoncé récemment, à la suite de l’accession au pouvoir de l’extrême droite.

Pas de texte de définition, ni de charte, mais trois “R”

Il n’existe pas de définition propre ou de charte sur la diplomatie féministe, mais la Suède avait basé sa stratégie sur trois “R” : Rights (droits), Représentation et Ressources. Chaque pays l’applique à sa manière. La France par exemple, utilise le terme de diplomatie féministe pour défendre les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes, et entend être le fer de lance de cette stratégie diplomatique, dans un contexte international de remise en cause des droits des femmes, en particulier des droits sexuels et reproductifs (notamment en matière de droit à l’avortement), et d’un regain de conservatisme populiste. Le Canada, lui, a mis en place une unité spéciale qui vérifie que les habitantes du pays avec lequel il négocie un accord de libre-échange n’en seront pas victimes.

L’unique document qui fait office de référence pour les pays adhérents de la diplomatie féministe, réside dans la stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes de la France 2018-2022. Il est en train d’être élaboré par l’instance consultative française, le Haut Conseil à l’Egalité (HCE).

Dans son rapport publié le 4 novembre 2022, le HCE affirme que “l’objectif premier d’une diplomatie féministe est de promouvoir un féminisme universel contre toutes les formes de relativisme, qu’il soit religieux, culturel ou politique. Universel ne signifie pas uniforme, et le féminisme ainsi qualifié inclut la diversité des histoires, des pratiques sociales et des luttes, mais il juge non négociables les droits.

La résolution 13.25 de l’ONU adoptée en 2000 et le plan “Femmes, paix et sécurité”

Le plan “Femmes, paix, et sécurité” est issu de la résolution 13.25 adoptée en 2000 par le Conseil de sécurité des nations Unies et a pour objectif d’imposer aux différentes parties d’un conflit le respect des droits des femmes, le soutien à la participation aux négociations des accords de paix, et à la reconstruction post-conflits. Cette résolution a été suivie d’une dizaine d’autres depuis. En France, le premier plan est arrivé en 2010. Le troisième (2021-2025) s’articule autour de la prévention par la sensibilisation aux violences sexuelles et à l’égalité et aux stéréotypes de genre, de la protection des femmes et des filles, de la participation des femmes et des filles au processus décisionnel et de la promotion de l’agenda et du plan national d’action. Le souhait de la France est, dès 2023, de mettre en place un plan d’action pour la mise en œuvre des résolutions onusiennes « Femmes, Paix et Sécurité », pour en faire une diplomatie à part entière (ou à part égale).

La diplomatie féministe est-elle efficace

Lors de cette conférence, la plupart des intervenant.e.s se sont accordé.e.s à dire que la diplomatie féministe se met en place tout doucement, trop lentement pour certain.e.s, alors que dans beaucoup de pays, il y a urgence à agir, notamment en Ukraine, en Afghanistan ou encore en Iran, car en temps de conflit ou de crise, le droit des femmes régresse inexorablement.

Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) : “La situation des femmes Afghanes est effrayante. Tous les jours on apprend la suppression de leurs droits. L’Ukraine, c’est aussi atroce. On peut dire que ça n’est jamais assez, qu’il n’y a pas assez de moyens, mais on progresse, le droit progresse. Malheureusement on constate aussi que ça régresse dans les moments de paroxysme et de crise“.

Pour Céline Mas, présidente de ONU Femmes France, l’égalité est loin d’être atteinte. Elle se dit même inquiète : “On entend de plus en plus parler d’égalité. On nous dit que l’égalité est en partie réglée, et pourtant, quand on regarde les chiffres, les faits et les données, le sujet se dégrade fortement, et c’est un paradoxe. L’année dernière les dépenses militaires dans le monde ont atteint 2000.100 milliards de dollars. Dans le même temps, il y a une paupérisation accrue et très large des organisations de défense des droits et notamment des organisations féministes“.

Un rapport d’ONU femmes établi à trois siècles, le temps pour atteindre l’égalité réelle. “En 2021, les membres des délégations pour les processus de paix étaient constitués de 19 % de femmes. alors qu’en 2020, 23 %. On a perdu 4 % en deux ans, ajoute Céline Mas.

Les femmes toujours en première ligne dans les pays en conflit

L’arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan, la remise en cause du droit à l’avortement aux Etats-Unis, en Pologne ou en Italie, le mouvement des femmes iraniennes, la guerre en République démocratique du Congo, en Ukraine… Même si elles prennent de plus en plus en main leur destin, qu’elles deviennent des piliers de la résistance ou qu’elles sont à l’origine d’une révolution, il n’en demeure pas moins que les femmes sont les premières à pâtir de ces conflits. Emprisonnées, torturées, violées, tuées, elles sont utilisées comme arme de guerre. Leurs droits fondamentaux peuvent-ils être protégés par la diplomatie féministe ? On en est loin, très loin, malgré les efforts effectués ces dernières années.

Depuis le retour des Talibans en Afghanistan, les filles sont privées de leurs droits les plus primitifs : “Les filles ne peuvent plus aller à l’école… Au XXIe siècle, une petite Afghane n’a pas le droit d’aller à l’école“, s’insurge le Dr Anarkali Honaryar, femme politique afghane, sénatrice de l’ancien gouvernement républicain afghan et militante des droits humains. “Certaines filles d’ethnies, comme l’éthnie Azara par exemple, qui allaient dans des écoles privées ont été attaquées et tuées“.

Au XXIe siècle, une petite Afghane n’a pas le droit d’aller à l’école“, Dr Anarkali Honaryar, femme politique afghane, sénatrice de l’ancien gouvernement républicain afghan et militante des droits humains

Alessandra Matviichuk, prix nobel de la paix 2022, dirigeante du Centre ukrainien pour les libertés civiles, estime que les Russes doivent répondre de leurs crimes : “Les femmes ukrainiennes ont rejoint immédiatement les forces armées. Ce sont les femmes qui ont sorti les gens des ruines, qui ont soutenu ceux dans les zones de combat, qui ont souffert sous les tirs d’artillerie, qui prenaient des risques pour ceux qui trébuchaient dans les décombres des immeubles, qui ont brisé l’encerclement de la ville pour apporter de l’aide humanitaire. Les femmes dans ce combat sont en première ligne, car la bravoure n’a pas de genre. Beaucoup de femmes ont rejoint notre initiative nommée “Un tribunal pour Poutine” pour documenter les crimes de guerre. La Russie a essayé de briser la résistance du peuple et d’occuper le pays en créant ce que j’appelle l’immense douleur de la population civile. Nous documentons cette peine, afin que, tôt ou tard, les auteurs de ces crimes puissent un jour être traduits en justice”.

Svitlana Valko, chargée de coordination des secours et protection, International Partnership for Human Rights (IPHR) rappelle aussi que les femmes sont utilisées comme arme de guerre et ne subissent pas les mêmes sévices que les hommes. “Nous collectons les preuves de crimes de guerre que nous envoyons au tribunal de La Haye (tribunal pénal international). Les femmes prisonnières de guerre, et leurs enfants, qui se trouvent sur les territoires occupés par les Russes font l’objet de tortures, mais aussi de violences et d’agressions sexuelles. Leurs crânes sont rasés pour se moquer d’elles. Les troupes russes utilisent le viol comme arme de guerre et ça fait partie de leur stratégie militaire“.

Les personnes présentes

Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ; Céline Mas, présidente d’ONU Femmes France ; message vidéo d’Oleksandra Matviichuk, activiste ukrainienne des droits humains, directrice du Centre pour les libertés civiles, prix Nobel de la paix 2022 ; Céline Bardet, juriste internationale spécialisée sur le viol de guerre, fondatrice et directrice Générale de l’ONG « We Are NOT Weapons of War (WWoW) » ; Esther Mujawayo, fondatrice d’AVEGA, association des veuves du génocide des Tutsis au Rwanda ; Svitlana Valko, chargée de la coordination des secours et de la protection au sein d’International Partnership for Human Rights (IPHR) en Géorgie et en Ukraine ; Chahla Chafiq, sociologue et écrivaine iranienne ; Dr Anarkali Honaryar, femme politique afghane, sénatrice sous l’ancien gouvernement républicain afghan, militante des droits humains ; Justine Masika Bihamba (en visio), militante congolaise, fondatrice de l’organisation non gouvernementale Synergie des Femmes pour les Victimes de Violence Sexuelle (SFVS) ; Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), co-évaluatrice du plan d’action français « Femmes, paix, sécurité » ; Jocelyne Adriant Mebtoul et Nicolas Rainaud, président·e.s de la commission diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux du HCE, co-évaluateur du plan d’action français « Femmes, paix, sécurité » et évaluateur de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes ; Parwana Païkan, ancienne ambassadrice d’Afghanistan en France ; Pierre-Yves Ginet, co-rédacteur en chef du magazine Femmes ici et ailleurs ; Agathe Hamel, présidente de la Délégation aux droits des femmes du CESE.

Quelles avancées pour faire que la diplomatie féministe soit efficace

Force est de constater que la parole s’est libérée, que les efforts faits, par les femmes elles-mêmes qui se prennent en charge, par les défenseur.e.s des droits ou par la France qui a fait de l’égalité femmes-hommes une de ses priorités en matière de politique internationale, ne sont que quelques gouttes d’eau dans cet océan de conflits. La diplomatie féministe française n’a pas vraiment décollé par manque de finances, de pilotage, par absence de définition ou de texte sur lequel se baser. Les actions concrètes restent encore trop minimes et les moyens de pression quasi inexistants.

Chahla Chafiq, sociologue et écrivaine iranienne : “Ce qui se passe en Iran, c’est une leçon pour le monde entier et je pense qu’il faut vraiment prendre cette leçon au sérieux par rapport à une diplomatie féministe. Que ce ne soit pas seulement des mots posés sur du papier, mais qu’ils soient accompagnés de mesures concrètes“.

-Impliquer plus de femmes dans les processus de paix

Il n’y a pas de paix durable sans les femmes“.

Selon les chiffres de ONU Femmes, lorsqu’il y a des femmes autour des tables de négociations, la durée des processus de paix s’allonge de 35 %. Elles arrivent alors à faire valoir leurs droits. Mais dans la majorité des cas, elles ne figurent ni à la table des discussions, ni dans les processus de paix en tant que voix de la société civile.

Il faut donc vraiment se battre pour aider ces femmes qui luttent et peser dans les diplomaties, estime Sylvie Pierre-Brossolette. “Il faut que les femmes soient plus présentes, qu’elles soient à la table des négociations. Il y a encore trop d’hommes qui décident du sort des femmes. Quand Les femmes se prennent en main, on est sûr que ça ira mieux.”

-L’ONU doit jouer son rôle pour documenter les crimes de guerre

L’ONU doit effectivement jouer son rôle pour documenter les crimes de guerre qui se passent dans les pays en conflit. Les résolutions ne sont pas toujours appliquées.

-Une récolte des données plus efficace

Selon les ONG, l’accès aux victimes est toujours très difficile. Elles sont donc “invisibles”. Les organisations et associations demandent une étude mondiale sur l’ampleur des violences sexuelles dans les conflits pour pouvoir établir des preuves. Cela passe par une récolte des données précise. On constate une autre difficulté : le nombre des féminicides est sous-estimé. Ces données aideraient à établir des diagnostiques clairs et à prendre des mesures appropriées.

-Impliquer les diplomates sur le terrain

Pour Jocelyne Adrient Mebtoul, de la commission diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux du HCE, “il faut travailler la culture de la diplomatie féministe. Qu’on arrête de penser que “féministe” est un gros mot. Ça n’est pas un gros mot, c’est juste une question d’égalité entre les sexes. Il faut que les diplomates français s’imprègnent et s’approprient cette diplomatie, jusque dans les postes et sur les territoires dans lesquels ils sont en poste“.

-Plus de moyens financiers pour les associations et les ONG

Dans bon nombre de pays, les féministes sont les seules à être actives. La France mise entre autres sur les organisations féministes. En 2020, elle a créé un fond de soutien qui leur est dédié.

C’est une des meilleures réussites de la diplomatie féministe“, affirme Nicolas Rainaud, de la commission diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux du HCE

Florence Cormon, directrice adjointe de la direction des Nations unies, des organisations internationales des droits de l’homme et de la francophonie au ministère de l’Europe et des affaires étrangères : “Notre action passe d’abord par le plaidoyer. On veut que le sujet reste à l’ordre du jour de la communauté internationale et pas qu’il soit totalement oublié. On inscrit régulièrement des débats à l’ordre du jour du Conseil de sécurité pour que les gens puissent participer et faire que la voix des femmes continue à être entendue. Il est important d’investir dans l’éducation des femmes et des filles. Je crois que ce qui se passe en Afghanistan le montre. 333 millions d’euros ont été débloqués en faveur du partenariat mondial pour l’éducation, dont 50 % lié à l’éducation des filles, mais aussi à l’éducation des garçons pour qu’ils respectent le droit des filles. 400 millions d’euros sur cinq ans pour a été consacré à la santé des femmes. Nous soutenons aussi l’entreprenariat féminin et nous avons lancé AFAWA en 2019, sous notre présidence du G7, en partenariat avec l’Afrique. 120 millions d’euros ont été dévolues aux organisations féministes sur trois ans renouvelés, pour que localement, sur le terrain, elles puissent agir. Concernant les défenseures des droits de l’homme, nous avons mis en place le prix “Simone Veil”, qui récompense une personnalité qui fait avancer le droit des femmes. Le Forum Génération Egalité accueillie en 2020 représente 40 milliards d’euros d’engagement pour faire avancer l’égalité femmes-hommes à travers un plan quiquennal...”

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